Sortir de l'aporie
Je ne fais pas partie des gens qui pensent que l'horizon indépassable de la politique se limite aujourd'hui à un choix douloureux et cornélien entre la « ligne Philippot » (socialo-étatisto-souverainiste) et la ligne « Marion » (identitaro-catho-droitarde)... Tout d'abord parce que ces positions me semblent toutes deux porteuses d'impasses, d'oxymores, de simplifications, d'insuffisances et d'approximations trompeuses ... Ensuite, parce que cette dichotomie reste étroitement imbriquée à une vision de la politique « stratégique » et « communicationnelle » qui me semble inévitablement vouée à l'échec. Or, si l'on voulait véritablement rompre avec les pratiques et les concepts qui ont échoué jusqu'à présent, c'est justement à cette approche « clientéliste » et « managériale » de la politique qu'il faudrait totalement tourner le dos.
Aujourd'hui, on fait de la politique comme on fait du marketing et celle-ci se borne donc à être un vulgaire « placement de produit ». On détermine des « cibles » (ouvriers, classes moyennes, retraités...) que l'on veut séduire et on bricole à leur intention un programme correspondant à leur « attentes » et leurs « intérêts » supposés. Une fois cette « offre » lancée sur le marché électoral, on espère que la somme des « cibles visées » atteigne le chiffre nirvanaesque de 51%.
« Allez dites-nous ce qui ne vous a pas plu la dernière fois, qu'on le modifie ou qu'on l'enlève ! Vous souhaitez un peu plus de ça, un peu moins de ceci ? Dites nous, on s'arrange !Ici c'est comme chez Subway, composez vous-même votre tartine de merde ! ». Au final, ce n'est même plus de la soupe, mais un insipide brouet constitué des glaviots revendicatifs des uns et des autres...
Il s'agirait donc, si l'on était vraiment radicaux et pourquoi pas « révolutionnaires », ce mot qui fait désormais rigoler tous les doctes et les gens dits sérieux, totalement inverser le processus, établir un programme basé sur l'analyse, l'expérience, les valeurs et la volonté, autour d'un objectif clair, défini, solide et immuable qui ne soit pas soumis aux aléas de la mode, des humeurs de « l'opinion » ou des contingences de la météo. Une fois ce programme établi, il faudrait l'exposer, le présenter, fermement et sereinement, le diffuser, chercher à l'appliquer à petite échelle pour tenter de le concrétiser et si possible de « l'exemplariser », l'imposer ainsi petit à petit dans l'espace public.
Ce sont les gens qu'il faut rallier au programme et non le programme qu'il faut adapter aux desiderata de la multitude des individus, des groupes sociaux, des factions, des lobbys... Ne pas chercher à flatter les intérêts particuliers mais tendre au Bien commun, au delà de tous les clientélismes boutiquiers. Nous ne devons pas être le syndicat de défense de telle ou telle catégorie, de telle ou telle classe, de tel ou tel groupe mais les porteurs d'une idée et d'un projet au service du pays et du peuple dans leur intégralité.
Nous ne sommes pas marxistes, ainsi nous ne jouons pas les « les pauvres contre les riches », manichéisme vain et niais, mais nous voulons la Justice Sociale, c'est à dire l'équilibre, la décence et la complémentarité au sein d'une communauté organique et solidaire. Nous ne sommes pas libéraux, donc nous n'opposons les libertés individuelles à l'Etat, mais faisons du second le garant des premières face à l'ubris et la rapacité sans limite des appétits de certains. Nous rejetons l'étiquette de « droite », à jamais souillée par l'égoïsme de classe et le matérialisme productiviste. Nous refusons tout autant celle de « gauche », définitivement discréditée par la xénophilie masochiste et le mondialisme uniformisant. Nous sommes la troisième voie, celle qui les terrifie tant qu'ils n'ont de cesse de l'insulter, de la calomnier et de la criminaliser. Nous devons réaffirmer ce que nous sommes, et non nous travestir, endosser des costumes qui ne sont pas taillés pour nous, tenter de jouer avec leurs règles, leurs codes, leur vocabulaire.
Après des années de calculs, d'alliances contre-nature, de billard à quinze bandes, de géostratèges génialement funambulesques, de masques, de triple discours, de pragmatisme gamellard et de « dédiabolisation » larvesque, pourquoi ne pas essayer la sincérité et la conviction ? De toute façon, ça ne peut pas être pire...
Xavier Eman (A moy que chault ! , 14 septembre 2017)